Votre panier est actuellement vide !
Hommage rendu au Capitaine Démoulin
Hommage rendu au Capitaine Démoulin après sa disparition du 21 novembre 1944
«
Lorsqu’au hasard de la vie, il nous échoit la rare chance de rencontrer un « Homme », il faut marquer ce jour d’une pierre blanche.
Nous n’y manquerons pas, en l’honneur du capitaine DEMOULIN, qui vient de disparaître au champ d’honneur comme il n’avait cessé de vivre, dans le simple et joyeux accomplissement du sacrifice quotidien.
Quelques jours auparavant, le sort lui avait renouvelé ses avertissements : un obus avait crevé son réservoir, et par miracle, l’appareil n’avait pas pris feu. Mais le capitaine DEMOULIN nous avait accoutumés aux miracles. Il avait de son rire frais et salubre, si simple, il avait négligé cette menace, comme il avait négligé toutes les autres depuis cinq ans. Il nous semblait alors que ce rire conjurerait éternellement le hasard par sa simple vertu de négligence…
Mais le 21 novembre, le sort qu’il avait si souvent forcé se lassa. Alors que pour la seizième fois il se jetait avec sa belle insouciance à travers les mailles serrées d’un rideau de D.C.A., son appareil tituba, privé de l’âme qui l’habitait, et un petit nuage de poussière et de fumée marqua sur les champs d’Italie la place ou le Capitaine DEMOULIN venait de rencontrer son destin.
L’Aviation Française peut pleurer : le Capitaine DEMOULIN portait en lui toutes les plus belles qualités de notre race. Son intelligence lumineuse lui avait valu d’être admis à la fois à l’Ecole Navale et à l’Ecole de l’Air. Il aimait l’Aviation d’amour : il l’élut et se voua à elle entièrement, lui fit le don total et désintéressé de lui-même.
A l’école, ses amis adorèrent aussitôt en ce gentil garçon prompt à rire et à chanter, la netteté du visage et du caractère, la clarté du regard et la brillante insouciance. Fantaisiste mais sérieux, naïf, modeste mais efficace, il savait allier â une vertu joyeuse, une inépuisable allégresse.
La guerre le saisit avant qu’il n’eût le temps de vivre, puisqu’il sortit de l’école le 8 juin 1939, et que depuis ce jour il ne devait connaître de la vie que les fatigues et les joies ardentes des camaraderies de combat, les bruits de moteur autour des tentes, dans tous les coins du monde où des Français se battaient.
Hâtivement, il se forme au C.I.C. de Chartres, et le 19 mars 1940 il rejoint le GC 1/6. Et c’est la parade épique et désespérée de l’Aviation Française, menée sur les vieux Morane essoufflés, les missions obscures et meurtrières des attaques de chars, que la gloire ne retient pas. Cependant sa Croix de Guerre s’est bien vite ornée de deux palmes et un clou. Ses compagnons tombent autour de lui, mais il semble que son insouciance extraordinaire et sa bonne humeur le protègent. Il avait « fait » le Groupe, l’avait marqué de sa personnalité, et ce tout jeune Lieutenant fut admis à l’honneur de conduire son escadrille au combat.
L’Armistice surprit un Groupe si anémié et clairsemé, qu’il dût se fondre avec les restes du 3/9, et la grande misère de l’Aviation Française commença.
Un Groupe, le 2/6 se forme pour aller en A.O.F., et le capitaine DEMOULIN est naturellement volontaire. Au cours d’une longue attente et dure attente, sous un climat terriblement démoralisant, il dispense à tous cette foi tranquille et cette légèreté maîtresse qui ont raison de tous les découragements…
Ne nous étonnons pas de le retrouver, l’un des tous premiers, sur les premiers avions Américains. Il s’entraîne ferme à Médina. Le 2/6 dissous, il est affecté au 1/4 qui rentre en lice. Vingt-sept missions de guerre à La Sebala, vingt-six missions de guerre à La Reghaïa, le voici commandant de la 2ème Escadrille du GC 3/6, où il exécute de mars à décembre quarante-trois missions de guerre….
Mais cette guerre de côtes, toute dangereuse et ingrate qu’elle fut ne lui suffit pas. Il piaffe, jusqu’au jour merveilleux entre tous du retour en la douce France, où la lutte allait reprendre son caractère acharné, et où le Capitaine DEMOULIN devait terminer, à la seizième mission, à vingt-six ans, son étincelante carrière.
C’était un homme de France simple et gai, droitement allant, de vertu joyeuse et d’esprit clair et profond, de ceux dont l’exemple réconforterait ceux qui douteraient de nos vertus.
Mais aux innombrables amis qu’il comptait, sa disparition semble impossible. On l’a vu tomber, on ne l’a pas vu mourir. Il est de ceux qui forcent l’espoir, et les miracles sont si fréquents chez nous que personne ne s’étonnerait si quelque jour il nous revenait pour nous conter à sa manière, une de ces savoureuses histoires dont il avait le secret.
»
Allocution prononcée par le lieutenant LABAS / Marc Lissy (Le Poète), après la cérémonie religieuse à la mémoire de Roger Démoulin
GC III/6 « Roussillon » – Istres 11/1944